Le marin Le Pen
par Jacques Trémolet de Villers
« C’est le début du commencement du redressement de la France… »
Il ne faudra pas l’oublier, cette phrase de Jean-Marie Le Pen, à vingt heures et seize minutes, le 25 mai au soir, sur France Info.
Jean-Marie Le Pen est le doyen de la vie politique française. Il est le seul, aujourd’hui, chargé d’un mandat public, à avoir connu, comme député, la IVe République et, avant elle, la Seconde Guerre mondiale, la défaite, l’Occupation, la Résistance, la Libération, les guerres d’Indochine et d’Algérie.
Comme le dit d’Ulysse mon poète préféré, « L’existence a mûri son amère bonté. »
L’un des signes les plus évidents et les plus douloureux de la barbarie, c’est la méconnaissance des vertus de la vieillesse. Les vieux en sont un peu responsables quand ils n’acceptent pas leur âge. Je ne parle pas des soins du corps qui sont un devoir, non plus que de l’entretien de l’agilité intellectuelle. Je parle d’un « jeunisme » qui tend à faire abstraction de cette expérience, pour vivre comme si on était né d’hier.
Pourquoi refuser ce cadeau du temps qui a passé ? Sacha Guitry le disait avec bonheur, « le grand avantage du passé, c’est qu’il est passé ». On peut le contempler, l’interroger, lui demander de dévoiler les énigmes que nous ne comprenions pas quand nous les conjuguions au présent et découvrir, au milieu du labyrinthe, le fil d’Ariane qui lui confère un sens.
Pour Ulysse, c’était Ithaque, la journée du retour, le roi enfin revenu dans son royaume, retrouvant l’épouse, le fils, la nourrice, le père et le vieux chien, punissant les prétendants corrupteurs et les servantes qui, trahissant la reine, s’étaient abandonnées à eux.
Comparaison n’est pas raison. Le marin Le Pen a couru les périls et les dangers, les bonheurs et les adversités sur la houle électorale, dans le tumulte des assemblées et des meetings, sans compter quelques conflits internes, intrigues de cour et guerres de cabinet qui sont, sans doute, le plus douloureux des lots communs des chefs de parti.
« Le sort, aux rois plus qu’aux sujets est prodigue de peines ! »
De tous les candidats, en lice ou en coulisse, pour la prochaine présidentielle, aucun
n’a connu la première élection de ce type, en 1965.
Jean-Marie Le Pen a conduit cette campagne, première du genre… et, pratiquement toutes celles qui suivirent, sauf quand les signatures manquèrent, jusqu’à ce qu’il cède la place à sa fille.
Cette stature d’ancien inspire plus que le respect. Elle donne la confiance. Face à cette stabilité dans le même combat, les agitations des jeunes gens, même quand ces « jeunes gens » sont septuagénaires, ont un aspect dérisoire.
Dans cette longue course où les succès de la jeunesse ont préludé la traversée du désert, l’oubli, la dérision, les difficultés économiques du quotidien, le secours salvateur, l’envol, les retombées, si l’on compte beaucoup de procédures et encore plus de calomnies, le plus sourcilleux n’y trouvera pas la moindre compromission financière. Ni fausses factures. Ni détournement d’argent public, ni ingérence. Ni même cette spécialité française conçue pour piéger l’adversaire, l’abus de bien sociaux.
Tout bien pesé, ce surnom de Menhir lui va comme la pierre levée sur le champ au péril de la mer.
Mais alors ?
S’il arrivait que nos institutions, à bout de souffle, ne permettent plus aux gouvernants, si misérables soient-ils, de gouverner ; si les forces de police et les armées ne savaient plus, comme à la fin de l’année 1957, à qui il faut obéir ; si, d’un coup, prévisible mais non prévu, nous nous trouvions devant le vide de ce qui reste d’Etat… soit pour une cause intérieure, soit pour des circonstances extérieures, l’ensemble de ce qui reste de l’armée, de la police, de l’administration se retournerait vers…
Vers qui ?
Le sauveur ? L’homme providentiel ? le général ? le maréchal ? mais personne ne répond à l’appel de ce nom.
Alors, peut-être, le doyen ! L’ancien ! Celui qui a vécu, a lutté, a tenu.
On dira : mais les forces de l’opinion, les clubs, les loges, les médias, les partis… hurleront à l’extrême droite !
Dans ces circonstances-là, les loges et les partis, les médias… et le reste, perdent tout le crédit qu’ils usurpent dans le temps de la normalité. Il en est de ces moments comme dans les tremblements de terre qui surviennent la nuit. Les habitants affolés cherchent, dans le noir, à tâtons, un mur porteur, une pierre haute qui n’a pas bougé.
Peu leur importe alors, quand ils l’ont trouvée, que la pierre levée soit un menhir d’extrême droite.
L’important, c’est qu’il soit là.
Je ne souhaite à mon pays ni l’effondrement des institutions, ni la tempête, ni ce que nos pères appelaient « le coup de torchon ».
Mais si l’un de ces événements, ou les trois, advenaient, il serait bon de savoir qu’en haut de la colline, à l’ouest de Paris, derrière sa longue-vue, veille un ancien qui, entendant ces bruits de fin du monde, pourrait dire calmement aux foules qui s’affolent : « C’est le début du commencement du redressement de la France… »
Phrase sortie : « Cette stature d’ancien inspire plus que le respect. Elle donne la confiance »